RDC : Rubaya, un gisement stratégique entre droit, opacité et vigilance d’Etat (TRIBUNE)
Introduction
La récente controverse autour du périmètre jadis couvert par le PE 76 de RUBAYA, l’un des gisements de coltan les plus stratégiques au monde, impose un exercice de lucidité et de vigilance nationale. Il ne s’agit pas simplement d’un conflit de titres miniers, mais bien d’un enjeu de souveraineté nationale sur une ressource critique dont dépend, en partie, l’avenir économique et géopolitique de la République Démocratique du Congo (RDC)
Rappel historique et juridique
Le périmètre aujourd’hui disputé a connu un parcours mouvementé :
Initialement attribué à la Société Minière et Industrielle du Kivu (SOMINKI), il fut repris par la SAKIMA.
Dans la tourmente politico-militaire des années 2000, il fut irrégulièrement attribué à M. MWANGACHUCHU IZI par l’administration rebelle du RCD, attribution ensuite confirmée par les arrangements issus des Accords de Sun City.
Ce dernier le transféra à la Société Minière de Bisunzu (SMB) afin de se conformer à la législation minière en vigueur.
Dans le cadre de l’assainissement du secteur minier engagé sous l’impulsion du Président Félix-Antoine TSHISEKEDI, et par l’action de la Ministre des Mines Antoinette N’SAMBA, le PE 4731 fut retiré à la SMB pour non-respect de ses obligations sociétales (Arrêté ministériel n°00222/CAB.MIN/MINES/01/2023 du 14 juillet 2023), conformément aux articles 286, 289 et 290 du Code Minier (2018).
Le périmètre fut alors réintégré dans le domaine public de l’État.
L’arrêté ministériel de 2025 et sa contestation
Le 12 mars 2025, le Ministre sortant des Mines a octroyé ce périmètre (désormais PE 16159) à la société SAKIMA SA par l’Arrêté n°00071/CAB.MIN/MINES/01/2025.
Toutefois, cette décision viole l’article 33 du Code Minier, puisque :
Un permis d’exploitation, une fois reversé dans le domaine public, ne peut plus être réatribué par simple arrêté.
Il doit obligatoirement faire l’objet d’un appel d’offres public.
Par ailleurs, le Conseil d’État (ROR 1365, 04 septembre 2025) a suspendu l’arrêté ministériel précité.
La prétention de Congo Fair Mining (CFM)
Dans son récent communiqué, la société Congo Fair Mining (CFM) laisse entendre que la suspension de l’arrêté ministériel du 12 mars 2025 par le Conseil d’État équivaudrait à une reconnaissance de ses droits sur le périmètre litigieux. Une telle affirmation demeure juridiquement contestable, dès lors qu’aucun élément probant n’est avancé pour établir la manière dont ladite société en serait devenue propriétaire.
Une question de cette envergure, touchant à la souveraineté minière nationale, ne saurait être réduite à une simple interprétation unilatérale. Or, en droit, le périmètre demeure dans le domaine public de l’État et ne peut être attribué que conformément à l’article 33 du Code Minier.
Pire, CFM soutient qu’en date du 19 aout 2025, il a par intermédiaire de l’Ambassade des USA à Kinshasa, saisi officiellement par lettre les autorités congolaises et américaines pour leur fournir des détails indiquant qu’il est le seul concessionnaire légal de la mine de RUBAYA et aurait retracé l’historique complet de cette concession tout en insinuant que la seule voie légitime et constructive est de dialoguer directement avec le propriétaire légal de la concession. Cette posture constitue un risque majeur de dépossession de ce gisement stratégique à l’Etat congolais.
Aussi Congo Fair Mining affirme dans son communiqué de presse que CDM est son actionnaire majoritaire. Partant de cette affirmation ; il convient de rappeler comment CDM a été impliqué dans cette affaire.
En effet, depuis le retrait du PE 4731 en 2023, le site a continué à être exploité illicitement par les populations locales et les autochtones. Les minerais extraits, non tagués, ne pouvaient être vendus légalement à Goma.
Pourtant, une fois acheminés au Rwanda, ces mêmes minerais étaient intégrés au système international de traçabilité, comme si ce pays servait de « blanchisserie » aux minerais du sang.
Afin de pallier cette situation, le ministre des mines suivant le rapport d’une commission ad hoc du Ministère des Mines et du portefeuille avait autorisé provisoirement la CDMC (Coopérative des Artisanaux Miniers du Congo) à encadrer la production, avec l’assistance du SAEMAPE. Mais cette solution, conjoncturelle, fut brutalement compromise par l’assaut du M23 appuyé par le
Rwanda, qui s’est emparé des minerais du site et encouragé l’exploitation anarchique.
Il devient dès lors à la fois curieux et difficilement justifiable que la société Congo Fair Mining, dont CDM détient la majorité du capital, prétende aujourd’hui être propriétaire de ce périmètre. Une telle revendication, non seulement soulève de sérieuses interrogations au regard du droit minier en vigueur, mais traduit également une tentative manifeste d’appropriation contestable d’un site stratégique relevant de la souveraineté nationale.
Une ressource stratégique et un risque géopolitique
Le coltan de Rubaya n’est pas une ressource banale. Selon l’US Geological Survey (2024-2025), la RDC demeure le premier producteur mondial de tantale (plus de 40 % de l’approvisionnement global).
La perte de contrôle sur ce site équivaudrait à fragiliser les négociations stratégiques en cours entre la RDC et les États-Unis sur les minerais critiques, et à livrer ce gisement vital à des réseaux politico-financiers opaques.
Pour une vigilance d’État renforcée
Face à cette situation, trois impératifs s’imposent :
Transparence : publication des titres miniers, des décisions juridictionnelles et des actes d’attribution.
Souveraineté : protection du patrimoine minier stratégique contre toute captation illégale.
Responsabilité intergénérationnelle : garantir que les richesses minières profitent d’abord au peuple congolais.
Conclusion
Le retrait du PE 4731 à la SMB, en 2023, avait replacé ce gisement stratégique dans le domaine public conformément à l’article 290 du Code Minier.
Dès lors, toute réattribution en dehors de la procédure d’appel d’offres consacrée par l’article 33 du code minier est nulle et non avenue.
Ce périmètre ne saurait être soumis à des arrangements obscurs. Eu égard à son importance stratégique dans l’approvisionnement mondial en coltan, il incombe à l’État d’assurer une vigilance particulière. Nous sollicitons, à ce titre, l’ouverture d’une enquête institutionnelle impartiale ainsi que l’implication directe de la plus haute autorité, afin que cette ressource nationale demeure protégée et orientée vers l’intérêt supérieur de la Nation et des générations futures.
Par Maître Michel KIBONGE, Expert en droit minier et en gestion de l’environnement mini