Littérature : retour sur la critique du livre  » la Maison des Merveilles » de Godefroy Mwanabwato à la Clinique Littéraire de Kinshasa

Comme le Sphinx revenait dans ses cendres, la Clinique Littéraire de Kinshasa via son directeur Le Marc Bamenga a ruminé après un vibrant échange téléphonique avec le journal en ligne Times.cd. Sur la critique du roman  » La Maison des Merveilles » de Godefroy Kahambo Mwanabwato passé au scalpel à travers la fameuse rubrique de la CLK  » Diagnostic » en juin passé.

DIAGNOSTIC DU ROMAN « LA MAISON DES MERVEILLES »*

La Clinique Littéraire de Kinshasa a reçu, à son activité « Diagnostic » du 14 juin 2025, l’ouvrage de M. Godefroy K. MWANABWATO.

1. Présentation de l’œuvre :

Titre : La maison des merveilles
Genre : Roman
Maison d’édition : Les lettres mouchetées
Format (210mm x 130mm x 14mm) sur 133 pages.
Poids : 238 grammes
EAN 9782487254169

I. Résumé du livre

La maison des merveilles est un roman historique. Sa fiction se déroule en grande partie pendant la rébellion congolaise de 1964. Il s’agit d’un père qui, le jour de son anniversaire, décide de révéler sa véritable identité à son fils. Le dénouement de toute cette révélation mouvementée se fera dans une maison, la maison des merveilles. Ce qui était un simple voyage se transformera en parcours initiatique.

Avant toute autre chose, nous nous sommes appesantis sur ce que nous avons qualifié de failles à charge de l’éditeur.

II. Les failles d’édition (Les notes de bas de page, la problématique des titres et les dialogues)

1. Les notes de bas de page

Nous n’avons pas réussi à déceler la logique dans la sélection de l’explication de certains mots et expressions dans l’ouvrage. Si certains mots sont expliqués, d’autres sont demeurés sans moindre explication. Il s’agit notamment de :
P.17 : rituels kafir, P.19 : Lituma, quamis, kufi, tabâa, P.58 : ngomas, ndanda, P.62 : machinengewehr, P.67 : P.163 : Qui est le roi Khosrow Anourchivan ? chat de Schrödinger, P.172 : Muyomba, bajaj, lutuku, kibanda, cadi P.174 : misbahah P.180 : mandazi. P.170 : Qui sont Beit Al Ajaib et Sir Tharia Topan ?

2. La problématique des titres et numéros de page

  • Les chapitres 6, 8, 10 et 11 n’ont pas d’intitulés. D’après l’auteur, ce que nous avons pensé être des titres ne sont que des entames. Nous lui accordons le bénéfice du doute. Mais la CLK estime que ces entames auraient dû être uniformes.
  • Par contre, sur certaines pages, la CLK n’est pas arrivée à s’expliquer pourquoi des titres apparaissent en plein corps du texte : P. 133 : l’embrasement de Kindu, P.134 : l’invasion et P.136 : nouvelle immunisation.
  • Les pages 124, 125, 186,187, 203, 204 et 205 ne sont pas numérotées.

3. Les dialogues

De la page 61 à 65 tous les dialogues sont les mots d’un seul personnage (Ramazani), sauf l’avant-dernier, ce qui fait perdre le lecteur.

La même situation est reprise au niveau des pages 90 à 92.

Après les failles qu’elle a qualifié d’éditoriales, la CLK s’est attardée sur le procédé narratif.

III. Procédés de narration

1. Angle et point de vue :

L’auteur a principalement utilisé deux angles de points de vue : l’omniscient (partie I – p.13-p.31 et il devine les pensées de ses personnages) et l’interne (Partie II-XI, p.32-p.21) et en faisant la part belle à l’interdiégétique : le narrateur est lui-même, à ce niveau-là, le personnage principal.

2. Utilisation des épisodes narratifs :

Pour rendre encore plus attrayant le récit de son roman, l’auteur a utilisé ce qu’on appelle des épisodes narratifs. En l’espèce, il a beaucoup usé des analepses : procédé qui consiste après coup, à revenir sur un événement qui s’est produit dans le passé (Ex. P.31-37, P.61-95).

3. Etude des personnages

La Clinique s’est particulièrement appesantie sur trois personnages : Abdallah, Zainabo et Philo.

  • Abdallah : pour la CLK, le rôle attribué à ce personnage n’a été que très superficiel, comme s’il fallait juste qu’il soit présent pour permettre à Kikuni (son père) de raconter. En effet, de la page 40 à 95 (histoire de Kikuni), il est surprenant que devant des révélations aussi crues que cruelles, Abdallah demeure sans réaction alors que, pour très peu, il a été déboussolé (voir page 35). L’auteur a donc engagé un monologue, certes pas ennuyeux, mais suffisant pour faire oublier la présence du fils de Kikuni. Ayant sans doute ressenti cette dépeinture, cet effacement de son personnage secondaire, l’auteur s’est débrouillé pour le faire vivre dans la bouche de Kikuni par les expressions « tu sais, mon fils… Mwanangu… »
  • Zainabo : elle est à l’origine des cauchemars de son mari Kikuni, pourtant elle est presqu’absente du roman. Selon l’auteur, cela s’explique par le fait que dans la tradition arabe, la femme se fait discrète.
  • Philo : ce personnage n’apparait que pour le besoin d’une explication de narration. Il disparait sans aucune suite, alors que l’auteur, en le nommant, lui a donné une certaine importance. La CLK estime que cette façon d’ouvrir une parenthèse sans la refermer est une faille. Pour l’auteur, il ne s’agit nullement d’une faille mais d’une stratégie de rédaction qui pourrait justifier une deuxième édition par exemple.

4. Fiction et réalité

Dans la mesure où l’objet du diagnostic est un roman historique, la CLK, référence à l’appui, affirme que le respect des faits historiques est de rigueur. De son côté, l’auteur campant sur ses positions, soutient qu’en tant que romancier, il a le droit de tordre la réalité au profit de sa fiction.

En soutènement de son argument, la CLK a d’abord cité les travaux du professeur et romancier Martin Fournier qui insiste sur le fait que les faits historiques, lorsqu’ils demeurent intangibles, accordent plus de crédibilité à l’œuvre, quoique fictive.

La CLK pense donc que le fait pour l’auteur de dire que la Tanzanie faisait partie de la Monusco en 2019 (P.25) ou que la rébellion Muléliste et la rébellion Simba sont une seule rébellion (PP 40-95 notamment) est une torsion des faits. S’agissant de ce dernier point, nous avons mis en avant l’ouvrage du professeur Isidore Ndaywel, Histoire du Congo. Mais l’auteur est resté sur sa position.

Pour la CLK, dans le principe, l’auteur doit rester dans le respect des faits historiques, à condition que les changements volontaires soient guidés par le besoin de la fiction. Mais, dans ce cas, fidèle à ce qu’on appelle le procédé de l’immanence, le texte doit fournir l’explication de sa propre méthode ; ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

5. Incohérence interne

Sous réserve des explications de l’auteur, CLK a retenu quelques points comme étant des incohérences internes. Elles ont longuement alimenté le débat. Il s’agit notamment de :

  • P. 65 : Le cri « Mayi Mulele » n’est pas celui des rebelles Simbas, plutôt celui des rebelles Mulelistes (idem aux pages 94p1 et 111).
  • P. 67 : l’expérience du chat de Schrödinger, contrairement au point de vue de l’auteur, n’est pas bien utilisée.
  • P. 79 : Son oncle l’attendait ou semblait l’attendre ?
  • Pourquoi jusqu’à la P. 97 l’auteur ne parle pas de maman ONEMA qui, dans les faits réels, est la véritable féticheuse de la rébellion ?
  • Pp. 100-101 : l’histoire du bracelet, l’a-t-il reçu de Lumumba en personne ou pas ?
  • P. 131, troisième trait de dialogue : d’après VERAYGEN, Kindu est tombé le 21 juillet 1964 et non le 15 juillet comme le soutient l’auteur.
  • P. 104 : UBURU et MULELE-MAYI sont la preuve de l’existence de deux groupes rebelles. La rébellion Muleliste n’avait pas le swahili pour langue.
  • P. 108 : A la note de bas de page, il est dit : « jeunesse Muleliste : adeptes de Pierre Mulele, proche de Lumumba, et chef de l’axe occidental de la rébellion basée dans le Kwilu. » Comment se fait-il alors que cette rébellion basée dans le Kwilu se retrouve dans toutes les offensives que l’auteur attribue aux Simbas à l’Est ?
  • P. 107 : Pourquoi et comment l’auteur soutient-il que Zaïnabo, qui pourtant est enlevée par des rebelles si violents, est encore vierge ? Cela ne pèche-t-il pas au principe de vraisemblance ?
  • P. 123 : Entrée tardive du fils comme si l’auteur s’en rendait subitement compte. L’allusion faite au déclic de la bataille de Kitutu contredit les propos de l’auteur sur la véritable raison de l’adhésion de Kikuni dans les rangs des Simbas.
  • P. 134 dernier p, la trame narrative subit un choc. La vérité c’est que l’auteur a oublié Zaïnabo, perdu dans sa propre fiction et attiré par les faits historiques de 1964 (la rébellion Simba), alors que la raison principale de son entrée dans les Simbas était justement Zaïnabo. Il le dit lui-même à la page136 (n’est-ce pas pour elle que je m’étais enrôlé chez les Simbas ?).
  • P.139 : L’expression « Hourra ! Hourra ! » ne correspond pas aux types de personnages que contenaient la rébellion Simba.
  • P.141 la République de Kasa-vubu et Tshombe : pourtant en 1964, Kasa-Vubu et Tshombe ont deux gouvernements différents, respectivement le gouvernement Léo avec son armée qu’est l’ANC, et le gouvernement de Katanga avec son armée qu’est la vous gendarmerie Katangaise.
  • P.151 « Les Simbas violaient des filles… » Qu’est-ce qui explique que les mêmes Simba n’ont pas pu tuer un homme parce qu’une femme s’était interposée ?
  • De la P.173 à la P.176, Salima vouvoie et tutoie son grand-père au même moment.
  • P. 181 : De la demande de faire visiter jusqu’à l’échange aigu avec les visiteurs, rien n’explique la volte-face de Salima (P.195). Alors que le climat est bon entre les deux, l’auteur choisit l’alcool pour expliquer la trahison de Salima envers son grand-père. La vérité c’est que l’auteur devait nécessairement trouver une brèche pour que l’histoire des identités cachées soit finalement racontée, mais il a, de notre point de vue, échoué dans sa démarche.
  • P.198 quatrième trait de dialogue, Kikuni est tourmenté par un rêve une fois tous les deux mois, contredit à la P. 34 où il le fait une fois tous les six mois.
  • P. 208 Kihuyu confirme que Kikuni a tué, d’où ses remords, contredisant Kikuni qui disait n’avoir tué personne, à la page 157 p4 et à la page 211. Pourquoi se rappelle-t-il des prescrits des Simba, de leur idéologie et non de la femme qu’il a éventrée ?
  • P. 216 l’auteur a oublié que Salima était ivre ; celle-ci est étrangement redevenue sobre. A quel moment ?

6. Belles descriptions

En dehors de toutes ces incohérences, qui d’ailleurs n’alternent que relativement cette belle œuvre, l’auteur a fait preuve d’une grande capacité descriptive.

P.35.1, P.58 dernier paragraphe ; P.71, P.78 les deux derniers paragraphes, et P.85 quand il dit : « la brousse silencieuse était silencieuse ». Il y a aussi les pages 188, 189 et 200 (« le repas vient d’être servi… ») pour ne citer que celles-là.

IV. Conclusion :

La Maison des merveilles de l’auteur Godefroy K. Mwanabwato doit d’être lu. Il a le mérite de faire vivre, avec une émotion constante des faits à la fois fictifs et réels que le lecteur ressent au fond de lui comme les vivant au moment de la narration. Il a la vertu d’apprendre, sinon de rappeler une partie importante de l’histoire du Congo.

La Clinique appelle simplement à beaucoup plus d’attention dans les détails relevés, si bien entendu, l’auteur les agrée.

Enfin, le présent diagnostic n’a pas la prétention d’être parfait ou de s’imposer à tous. Ainsi, à sa parution, l’auteur dispose d’un droit de réponse à adresser à la Clinique Littéraire de Kinshasa.

Le Marc Bamenga
Directeur/CLK

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